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Je ne serai jamais une belle fille au volant d'une belle voiture
17 décembre 2009

Une nuit dans ma maison

Je me souviens avoir fait le tour de la maison, plusieurs fois. Les marches inégales de l'escalier gondolaient sous mes pieds, mes orteils blanchissaient un à un, au contact des dalles froides de l'entrée. Aucun bruit ne perturbait le silence, excepté peut-être les hurlements sourds et caverneux qui résonnaient dans mon ventre. J'avais faim. Si faim que mon estomac n'était qu'un creux, qu'un abîme juste recouvert de côtes de glace, d'un igloo de petits os cliquetants. Pour me réchauffer, je tapais mes mains l'une contre l'autre, je soufflais sur mes doigts violacés, je sautillais sur place. En vain.
Je me souviens avoir vérifié chaque radiateur : ceux qui, d'habitude, démarraient au quart de tour ne fonctionnaient plus. Ceux de la salle de bain et du salon restaient désespérément froids. Mais je pris conscience qu'à chaque fois que je tournais le dos, les vannes changeaient, les objets bougeaient, les portes s'ouvraient et se refermaient. Une main invisible venait bouleverser mon univers, envahissait ma maison et me foutait une peur bleue. J'étais pétrifiée : debout dans le hall de nuit, je refusais de bouger. J'ai crié le nom de David pour qu'il vienne me récupérer. Personne ne répondit.
Soudain, un souffle brûlant me parcourut l'échine, se glissa dans ma nuque. Je me retournai et vit que la porte du débarras était ouverte : la pièce était éclairée et chauffée, si bien qu'une vague d'air chaud s'en échappait. Cela n'avait aucun sens : personne n'allait jamais dans ce bric-à-brac, qui n'avait donc aucune raison d'être éclairé et chauffé. A moins que...
C'est là que j'ai vu ma petite soeur venir à mon secours, grimpant péniblement les marches de l'escalier à tâtons, dans l'obscurité. J'ai supplié qu'elle vienne vite, qu'elle vienne voir ce qui m'horrifiait à présent : la main d'une vieille dame venait de refermer la porte du cagibi.

lulu_cauchemarRRR_1_C'est à cet instant que ma voix brisa le silence de la chambre et mon sommeil : "Là, là, la vieille dame est là!". Je me réveillai en susaut, tétanisée. Mon corps tremblait de tout son petit long. Plus qu'autre chose, le son de ma voix m'avait terrrorisée, comme si je m'entendais pour la première fois, comme si une étrangère avait parlé au travers de moi. Je me suis retournée pour chercher une main à attraper, un cou où me réfugier. Mais j'étais seule dans le lit ; le matelas d'à côté était toujours froid et inoccupé. Je suis restée là, immobile, incapable de tendre le bras pour atteindre l'interrupteur, pour prendre mon portable et regarder l'heure. J'avais besoin de quelqu'un, cruellement. Envie qu'on me console de mon ignorance, de ma couardise, de ma blondeur et de cette taille ridicule. Envie qu'on me dise que ce n'était rien, que ça allait passer, en me caressant les cheveux et en m'embrassant le sommet du crâne. Envie d'une dose massive de tendresse pour chasser la faim, le froid, la peur et la solitude du rêve et de cette nuit-là.

Après de longues minutes, j'entendis la porte du salon grincer, les pas familiers dans le vestibule et les marches des escaliers geindre l'une après l'autre. J'ai passé le reste de la nuit les yeux grands ouverts à essayer d'oublier ce rêve, me persuadant qu'il était vide de sens. Que maintenant, accrochée à ce bras comme à une bouée de sauvetage dans une mer hostile, je n'avais pas faim, je n'avais pas froid, je n'avais plus pleur et je n'étais plus seule.

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