Champions de quoi, au juste?

Ce soir, comme des milliers d'autres belges, j'ai mangé un barbecue avant de regarder Standard-Anderlecht chez des amis. Et ce soir, alors que le match entamait sa 95ème minute et que les rouches menaient toujours 1-0, je ne pensais pas à mon papa qui vibrait devant l'écran géant du bowling de Waremme, ni à ceux qui brandissaient leur chope dans le carré, ni même à celui qui peut-être avait obtenu une place dans le stade ; je pensais au mauve qui, à deux mètres de moi, s'enfonçait de plus en plus bas dans le sofa. Vous ne pouvez imaginer ce que c'est que d'être pétrie dans le rouge et d'avoir le coeur solidement ancré dans le mauve. Je suis rouge au point d'avoir été emmenée à Sclessin pour la première fois à 5 ans ; rouge à en passer mes vendredis soirs chez Tonton Boloni pour regarder Gilbert Bodart arrêter les goals sur Canal + ; rouge à ce point que les amis de mon père réclament que je vienne dans le salon quand le Standard joue à la tv (je porte chance, paraît-il : quand j'entre dans la pièce, magiquement, ils marquent). Et je suis mauve aussi ; mauve comme on est bleue de quelqu'un. Au point de réintégrer cette couleur dans ma garde robe, mauve à m'en foutre, finalement, si le Standard gagne ou perd, mauve au point d'oublier qu'on devrait être ennemis, tellement mauve que le matin, en me réveillant, je lève les yeux vers l'oreiller d'à côté et je regarde la moitié de visage tournée vers moi en me disant que c'est sans aucun doute la plus belle des frimousses que l'on puisse contempler, l'âme la plus noble, le courage le plus grand. Peut-être que seul un coeur rouche peut s'éprendre à ce point ; peut-être que seule une âme mauve peut être profonde de cette façon. Ce soir, mon amour a vu perdre son équipe. Mais je me dis que peut-être, s'il est perdant au jeu, alors il est - peut-être ai-je dis, avec de la chance ou du hasrad - peut-être est-il heureux en amour... Peut-être.